Souvenons-nous : dans les années 1990, les vins avaient pris les allures de culturistes aux muscles toujours plus saillants. La mode était venue du Bordelais, où les premiers vins de garage avaient vu le jour. Et le fait est que lors des dégustations à l’aveugle en enfilades, ces boissons obèses de prétention l’emportaient.

De vraies bêtes à concours. Démonstratives et corpulentes. Dogmatiques aussi puisqu’il semblait à l’époque qu’on ne pouvait plus déroger à cette règle du culte du corps face à laquelle la finesse des vins n’avait plus droit de cité. Laquelle finesse était même synonyme de maigreur. Pire : ces vins étaient décharnés ! Robert Parker, lui, était le maître du monde. Faisait trembler toutes les particules de Guyenne. Et monter en flèche les tarifs de ses nominés. Mais personne, après tout, chez les consommateurs, n’était obligé de le suivre…

Toujours est-il que tous les vins avaient emboîté le pas à ces extractions outrancières sur des bois trop chauffés et, bien souvent, les Vins de Loire eux-mêmes, rouges ou blancs, avaient vendu leur fraîcheur au diable comme une jeune fille sa virginité au premier venu. Le marché en avait décidé de la sorte. Malheur aux récalcitrants !

“Vouloir être à la mode, c’est déjà être dépassé”

Heureusement, ce temps a vécu. Preuve, une fois de plus, comme le disait Eugène Ionesco à peu près dans ces termes, que « vouloir être la mode, c’est déjà être dépassé. » Eh oui, il ne faut pas confondre mode et modernité. Et la vérité est toujours bien plus subtile qu’outrancière. D’autant que les diagnostics posés lors des accords mets et vins, de connaisseurs ou de novices, ont eu raison des présupposés des dégustations initiales : les plus musclés n’étaient pas ceux qui se tenaient le mieux à table. Loin s’en faut. Car le palais est plus vertueux dès lors qu’il place face à face le solide et le liquide. Surtout qu’à table, il y a aussi les innocents, ceux qui ne savent pas parler du vin, qui n’en connaissent pas le vocabulaire plus abscons que chatoyant mais qui ne se privent pas de s’exprimer avec bonheur devant une bouteille à leur goût enveloppant avec délicatesse un joli mets préparé avec attention.

On est ainsi revenu à beaucoup plus de raison. Pour redonner la parole à des vins où les maturités et les acidités ont retrouvé des équilibres bienvenus, des  élégances que nous aimons par-dessus tout dans les flacons ligériens. Qui, s’ils n’affichaient plus ces fraîcheurs qui les caractérisent, s’en iraient mourir sur les plages de l’indifférence ou, pire, de la trahison.

Et puis, ce n’est pas en voulant à tout prix ressembler aux autres qu’on peut affirmer son identité, il n’est pas inutile de le rappeler. Vouloir enfiler les traits d’un mannequin n’a jamais rendu plus beau qui que ce soit…

Jean-Claude BONNAUD
Revue trimestrielle « Le Vin Ligérien »

Crédits Photos : Le Vin Parfait (Flickr Commons)

*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

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