Je me suis réveillé un matin avec un mal au crâne terrible ! Je venais de faire un cauchemar que je ne souhaite pas à mon pire ennemi. Et si l’on perd beaucoup de ses images nocturnes qui pourtant chamboulent parfois, il m’en est resté en l’occurrence, et cette fois, quelques bribes terrifiantes. Suffisamment en tout cas pour me donner une migraine une bonne journée durant.

Ce cauchemar, c’est un peu l’histoire du film intitulé Jean-Philippe dans lequel Fabrice Lucchini, fan absolu de Johnny Hallyday, knock-out suite à une mandale bien appuyée, se réveille dans un monde … où Johnny n’existe pas. Eh bien, moi, dans mon cauchemar, ce n’est pas « l’idole des jeunes » ou des moins jeunes qui n’existait plus, mais la vigne. Elle avait déserté totalement le Val de Loire.

La Vigne n’exisait plus, elle avait déserté totalement le Val de Loire

Le Piton de Sancerre, rasé de ses ceps, avait la gueule d’un vieillard édenté et immonde à l’haleine putride. Il avait, comme Menetou-Salon, vendu son âme au diable, sans que Bué ni ses birettes y trouvent leur compte puisqu’aucun liquide acceptable n’y circulait plus. Agnès Sorel, elle, n’était jamais venue au Clos de la Dame se régaler d’une jolie coupe de vin. Le Loir-et-Cher, où je suis né, était mangé définitivement par les forêts et leurs sangliers avides du moindre trognon. Les coteaux de Touraine, au point de n’y voir plus aucune culture, étaient râpés par les vents de galerne qui s’aiguisaient au fil des jours sur les calcaires. Les collines de l’Anjou ne présentaient plus ni queue ni tête, la Corniche angevine ayant perdu à tout jamais les couronnes enflammées de ses automnes lumineux. Quant au Pays nantais, les pluies lui coulaient entre ses veines de Sèvre et Maine sans plus rien pour les arrêter.

Une catastrophe pour les yeux, nos gosiers et pour le quotidien tout simplement. D’autant que notre région s’était vidée d’un coup d’un seul d’un paquet de touristes et que la vie n’y chantait plus comme avant. Elle se contentait maintenant de susurrer et de tendre la main pour survivre. Et nous, amoureux des vins comme nous l’étions, n’avions plus qu’une eau plate et désespérante pour nous désaltérer. Fini, le plaisir des dégustations. Fini, celui des discussions sans fin à refaire le monde autour d’une belle bouteille.

Je me suis vu tomber dans un gouffre sans fond, lentement, en tournoyant sur moi-même comme une feuille morte, sans pouvoir prononcer un mot et sans pouvoir me raccrocher à quoi que ce soit. Tétanisé devant cette horreur totale de la fin d’un monde où les vignes faisaient tout l’attrait de ce Val de Loire que j’aime tant.

Évidemment, je me suis réveillé au summum, si je puis dire, de cette impitoyable descente aux enfers. Migraine au menu, comme je vous l’ai dit. Je me suis levé en traînant les pieds, les mains sur les lombaires, la tête baissée et le cheveu hirsute. Je n’ai pas osé me présenter devant le miroir. Sous la douche, j’ai repensé à l’eau… Mais sans trop faire la gueule. A ce moment-là et à cet endroit, devant tant d’infortune, elle m’a quand même sacrément fait du bien.

Il était déjà tard. 11 heures. Je n’ai pas résisté à ouvrir la porte de ma cave. Et là, j’ai enfin respiré en caressant mes bouteilles allongées tranquillement. Ce geste m’a revigoré. Surtout qu’à deux pas, devant moi, la vigne de mon voisin était toujours là !

Jean-Claude BONNAUD
Revue trimestrielle « Le Vin Ligérien »

Crédit Photo : Cyril5555 (Wikimedia Commons)

*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

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