J’aime me regarder dans une bouteille. Je veux dire : une belle bouteille. Celle dont les arômes et la bouche vous porteront au septième ciel, vous feront croire à la bonté et à la beauté du monde. Vous diront tout le travail qui a été nécessaire pour arriver à semblable résultat.

Que dis-je : pour arriver à vous transporter dans un voyage que vous ne soupçonniez pas. Car il n’est nul besoin de prendre forcément l’avion et de voler à plusieurs milliers de pieds au-dessus de la terre pour vous envoler vers les grands espaces du bonheur. Mes pieds, à moi, sont plus modestes. Ils ne se mesurent pas à l’aune de lointaines destinations mais prennent un bain de plaisir dans la délectation de quelques gorgées d’un très joli vin.

Je sais : à première vue, ça n’est pas très sexy, comme on dit aujourd’hui. Encore que, là encore, les choses soient très discutables. Un flacon aérien ouvert en tête-à-tête avec une silhouette agréable peut conduire aux soirées les plus soyeuses qui soient. Mais il est vrai qu’une bouteille extirpée du fond de sa cave, ce n’est ni les Maldives ni les Caraïbes. Et ça ne prétend pas l’être d’ailleurs.

Une bouteille est un miroir sûr

Mais une bouteille est un miroir sûr, où l’âme du buveur apparaît dans toute sa dimension.  Elle nous dévisage et nous met à nu en nous révélant, pour peu que nous y prêtions l’oreille, un message d’humanité que nous aurions tort d’ignorer. Surtout à notre époque où la normalisation dans les comportements tord trop souvent le cou à la liberté individuelle. Or, les vignerons, au travers de leurs différents terroirs et cuvées, redonnent tout son sens à ce mot liberté. En créant des vins bien à eux, ils marquent leur différence en refusant les oukases de la standardisation.

Cette bouteille, ce miroir donc, nous renvoie à cette introspection salutaire qui nous fait plonger dans notre condition humaine. Une immersion dans des valeurs simples comme le partage, la mémoire, l’humilité, la tolérance, l’amitié, la fraternité. Des mots qu’on avait cru oubliés à tout jamais et qui ressortent par la magie d’une rencontre autour d’un flacon dans une cave où les échanges semblent suspendus dans le temps. Comme si les voix qui sortent de nos lèvres dans ces moments-là n’avaient rien à voir avec celles qui sont les nôtres au quotidien. Comme si elles se baladaient, tranquilles, un brin d’herbe entre les dents sur un sentier de campagne au lieu de courir sur les trottoirs à la poursuite d’un rendez-vous professionnel pour lequel, de toute façon, l’heure ne sera plus l’heure…

Nous sommes ici, devant ce miroir, dans la vérité des choses. Celles du soleil, du vent, de la pluie, de la terre et du travail des hommes. Une vérité sur laquelle le temps glisse avec politesse, qui salue les dames en soulevant son chapeau et les messieurs en leur adressant un salut de la main, sans se presser et sans nous menacer sans cesse de nous suspendre au gibet de la productivité après des jugements péremptoires de quelques directeurs de conscience vendus au veau d’or.

Vous comprendrez que je préfère caresser l’étiquette de la belle bouteille en question. La regarder avec insistance mais respect. Et l’ouvrir avec la délicatesse qui sied à tous les amoureux. Des femmes et de la bouteille.

Jean-Claude BONNAUD
Revue trimestrielle « Le Vin Ligérien »

Crédits Photos : Takuma Kimura (Flickr Commons)

*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

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